Depuis 40 ans toujours puceaux jusqu’au plus récent Funny People, les productions Apatow remportent un succès critique assez hallucinants en France. Inrocks, Cahiers et Chronicart louent un mélange efficace d’humour caca/prout/zizi et d’écriture comique hyper sensible. Sous le caca, il y a un petit cœur qui bat : le cœur d’un homme hétéro du XXIème siècle en proie à des pannes de couilles, exprimées tantôt au travers d’éjaculation précoce, tantôt par une tendresse ambiguë envers ses meilleurs potes. Loin d’en déstabiliser les fondements, les films labélisés Apatow discutent de l’hétérosexualité sans jamais la subvertir, et tracent de film en film les contours de ce qui est sentimentalement acceptable et sexuellement licite. La veine trash, comme souvent dans les comédies s’en réclamant de manière plus ou moins agressive, sert à détourner l’attention d’une morale franchement conservatrice en plaquant des vannes vulgaires et borderline dans la bouche de leurs personnages.
Bridemaids, le plus gros succès d’Apatow à ce jour, est aussi la première de ses comédies à utiliser explicitement un prétexte de genre comme argument de vente: il s’agit de réinterpréter un répertoire comique traditionnellement masculin, la comédie grasse alcoolo-sentimentale, avec des personnages féminins.
Une des rares scènes vraiment marrantes du film.
Le petit frisson transgressif qu’on nous vend ici réside dans l’abolition d’un privilège comique hautement masculin : celui de pouvoir se chier dessus. En langage Cahier du cinéma, cela donnerai : Réinvestir Le Corps-Comique Féminin De Ses Puissances Scatophiles. Ce que nous traduirons par : venez ENFIN découvrir une comédie américaine dans laquelle des filles ont la crotte au cul ! Rien ne différencie Bridesmaids de Bridget Jones, si ce n’est cet argument girl power qui nous fait croire qu’il est subversif de montrer des demoiselles d’honneur se faire caca dans la culotte.
Il y a bien un moment où Bridesmaids s’aventure sur un circuit amoureux totalement débalisé, celui du trio formé par Annie, Lylian et Helen. Plus proche d’un I Love You, Man que d’un Very Bad Trip, cette histoire de jalousie entre copines est la vraie histoire de Bridesmaids : potentiellement magnifique, elle est sans cesse rabattue, rampant comme un secret au pied du film. L’homosexualité latente culmine et manque tout à coup de péter dans la scène du brunch : hélas, les auteurs viennent nous rappeler dans quel territoire nous sommes en lâchant une bonne grosse vanne homophobe. Une fois l’abcès lesbien crevé, Bridemaids peut repartir sur ses petits rails étriqués et conclure son propos à la manière d’un guide de rééducation hétérosexuelle. Et soudain cette scène qu’on a vu 40 fois : la fiancée, au matin de son mariage, en proie à la panique, est incapable de sortir de son plumard. Elle flippe parce que grosso modo elle n’aura plus d’indépendance, plus de chambre à elle (c’est dit explicitement). « Oui mais c’est pour ton bien ! » lui souffle sa copine. Cut. Musique + feu d’artifice + mariage + baiser. Fin.
Un personnage de grosse dégueulasse, avec un coeur gros comme ça.
Outre cette manie typiquement hollywoodienne de circonscrire le sexuellement déviant à l’intérieur d’un personnage de gros porc (ici une grosse truie), on notera également la présence du personnage récurant de flic marrant et sympa. Les auteurs auraient pu choisir n’importe qu’elle profession pour le prince charmant chargé de sauver l’héroïne de sa détresse sentimentale, mais non, ils ont choisi d’en faire un flic. Un flic gentil, maladroit et un peu bonhomme, dont le privilège d’user de la force et de la violence sur les autres sert de prétexte à quelques gags de droite. Impossible de se tromper sur le contenu éminemment conservateur de Bridesmaids, qui dans la lignée de Superbad et Forgetting Sarah Marshall, tend à vouloir consoler un régime sexuelle malade de ses prescriptions de genre exclusives et oppositionnelles.