La liste (provisoire) des films en compétition officielle à Cannes vient d'être dévoilée: sur 22 réalisateurs, aucune réalisaTRICE. Il y a fort à parier que ce constat, immédiatement choquant et révélateur du conservatisme absolu de cette institution, ne sera relevé par aucun média ciné français qui, à l'image de Thierry Frémaux, jouissent du luxe de s'en foutre. Littéralement: ils s'en foutent, ils ne se posent pas la question puisqu'ils n'ont pas à se la poser. L'industrie du cinéma n'échappe pas au sexisme systémique de nos société, bien au contraire: elle le célèbre à travers ses institutions et le perpétue en diffusant massivement des représentations sexistes qui consolident les normes de genre.
Pourtant, les auteurEs ne manquent pas. En France, on a pu observer une mise en avant inédite de jeunes auteurEs: on pourrait même parler d'un phénomène culturel. De Valérie Donzelli à Céline Sciamma, en passant par Rebecca Zlotowski (Belle Épine), Katell Quillévéré (Un Poison Violent), Sophie Letourneur (Bienvenue au Ranch) et d'autres encore. On a vu Maïwen exploser avec Polisse et Julie Delpy trouver enfin son public avec pas moins de trois films sortis en quatre ans. Même Despentes à pu trouver la thune pour faire sa comédie lesbo-punk!
À l'international, dans le sillage de Campion et Coixet, des auteurEs s'envolent: Kelly Reichardt (La Dernière Piste), Andrea Arnold (Fish Tank). À Hollywood, on ne peut plus faire sans Diablo Cody, et Drew Barrymore s'est imposée avec son génial Whip It. En 2008, le Twilight de Catherine Hardwicke devient le plus gros succès d'une femme réalisatrice au box office. Des hommes lui succéderont, en dépit de la patte singulière qu'elle imposa à ce premier volet. L'Oscar remporté par Bigelow en 2009 pour Démineurs n'y aura au final rien changé, puisqu'en 2012, aucune réalisatrice ne concoure pour la statuette.
Malgré tout ces indices de changement, Thierry Frémaux trouve le moyen, sur vingt deux films en compétition (vingt deux!!), de n'offrir sa chance à aucune réalisatrice. L'idée que la qualité des films devrait primer sur le genre de leurs auteurs est un argumentaire sexiste classique et hypra usé, duquel transpire l'idéologie dominante, celle-la même effective depuis les tapis rouges jusqu'aux Cahiers en passant par les écoles et les facs de ciné.
"Au lieu d'élever le cinéma vers le monde pur des idées, on l'abaisserait vers le monde impur des rapports sociaux de sexe, auquel la création artistique devrait le soustraire, en tout cas dans la tradition culturelle française où l'art autant que la politique sont censés relever d'une universalité qui prétend transcender la différence des sexes, au profit d'une masculinité qui s'érige en norme neutre de l'humain." (Burch et Sellier, Le cinéma au prisme des rapports de sexe, 2009)
Certes, une femme réalisatrice ne réalisera pas forcément un film progressiste et féministe. En revanche, elle aura plus de chances de le faire qu'un réalisateur. Mais à vrai dire on s'en fout. Là n'est pas la question. Ces écarts ne disent qu'une chose: donner une forme cinématographique à sa réalité sociale et à ses affects est un pouvoir, et comme tout pouvoir, celui-ci est confisqué par une classe qui exploite et domine les autres.
En m'aidant du rapport du CNC sur les coûts de production cinématographique, j'ai isolé les films français réalisés par des femmes en 2011 en y ajoutant des liens vers les bandes-annonces. Sur 26, je n'en ai vu que deux: Tomboy et Angèle et Tony. Le premier est un vrai chef d'oeuvre, le second est un film à l'élégance parfaitement inhabituel.
Coût inférieur à 1M€
(coût de fabrication définitif après fin de tournarge. Coût moyen: 4,7M€)
En ville, Valérie Mréjen
Tomboy, Cécile Sciamma
Belleville Tokyo, Elise Girard
--> 3 sur 19
Coût compris entre 1M€ et 2,5M€
Pourquoi tu pleures, Katia Lewkowicz
Pieds nus sur les limaces, Fabienne Berthaud
Propriété Interdite, Hélène Angel
La Lisière, Géraldine Bajard
Contre-toi, Lola Doillon
Ma compagne de nuit, Isabelle Brocard
D'amour et d'eau fraiche, Isabelle Czajka
Belle Épine, Rebecca Zlotowski
Les Secrets, Raja Amari
Notre étrangère, Sarah Bouyain
Angèle et Tony, Alix Delaporte
--> 11 sur 32
Coût compris entre 2,5M€ et 4M€
My little princess, Eva Ionesco
--> 1 sur 25
Coût compris entre 4M€ et 5,5M€
Il reste du jambon, Anne Depetrini
Gigola, Laure Carpentier
No et moi, Zabou Breitman
Sans Queue ni tête, Jeanne Labrune
La Permission de Minuit, Delphine Gleize
Mon père est une femme de ménage, Saphia Azzeddine
Sport de filles, Patricia Mazuy
--> 7 sur 16
Coût compris entre 5,5M€ et 7M€
Et soudain, tout le monde me manque, Jennifer Devoldere
--> 1 sur 12
Coût compris entre 7M€ et 15M€
Donnant, donnant, Isabelle Mergault
Un Balcon sur la mer, Nicole Garcia
La croisière, Pascale Pouzadoux
--> 3 sur 27
Coût supérieur à 15M€
--> 0 sur 4
Total
26 films sur 135